PAUL GOODMAN
(1911-1972)
Edgar Z. Friedenberg
Paul Goodman est mort d’une crise cardiaque le 2 août 1972, à un mois de ses 61 ans. Ce ne fut pas entièrement mal avisé de sa part. Il aurait détesté ce que son pays fit des années 70 et 80, même davantage encore qu’il aurait aimé en dénoncer la bassesse et l’hypocrisie. L’érosion de son influence et de sa réputation au cours de ces années aurait mis à rude épreuve un homme aspirant à une reconnaissance qui se dérobait à lui, malgré une liste longue et variée de publications, jusqu’à ce que Growing up Absurd, œuvre publiée en 1960, lui apportât enfin une dizaine d’années de renommée bien méritée.
Il y a fort à parier que rien de ce qu’il aurait pu publier au cours des années Reagan-Bush ne l’eût soustrait à l’obscurité et au désarroi d’être persuadé sans espoir que cette obscurité serait permanente. Ces années-là ne pouvaient être tendres pour Goodman ; mais il faut dire que lui-même n’était pas si tendre. On pouvait le lui pardonner et on le lui pardonna souvent, de même que l’arrogance, la grossièreté qu’il manifestait et une homosexualité tenace et affichée – sujet sur lequel il s’étend avec une certaine fierté dans son livre de mémoires, Five Years, paru en 1966 – qui lui valut de temps à autre de perdre des postes d’enseignant. Il y a cependant dans ses écrits un aspect que n’auraient pu tolérer les deux dernières décennies.
Si excentrique que fût souvent le dogmatisme de ses positions sur la plupart des sujets importants qui divisaient son temps et qui sont plus brûlants encore aujourd’hui, Paul Goodman avait en général raison. Et le courant dominant de la pensée américaine entraînant allègrement la société industrielle occidentale vers des écueils de plus en plus perfides faisait fausse route. De A à Z. Les observations pénétrantes de Goodman sur la manière dont la société américaine abaisse et pervertit ses institutions, en particulier son école, et sape le développement humain sont plus pertinentes encore aujourd’hui qu’au temps où il les publiait. Le mal ainsi fait s’est propagé et s’est accentué.
Il se pourrait donc que le monde ne puisse guère se payer plus longtemps le luxe d’ignorer Goodman. Vingt ans d’oubli, c’est bien assez. Ce profil vise à montrer pourquoi, afinqu’il soit fait justice comme il se doit de pareille négligence.
Et pourtant, il est assez étonnant que Paul Goodman ait jamais réussi à retenir l’attention du monde. Un coup d’œil critique sur le climat d’opinion qui permit, pendant un si court moment, à son influence de s’étendre montre bien que cela se produisit à la faveur d’une sorte de syzygie culturelle, circonstance plutôt rare. Il ne s’agit pas d’influences qu’aurait subies la pensée de Goodman mais d’une mutation des courants idéologiques qui eut pour effet d’ouvrir l’esprit des autres, lesquels sans cela, auraient parfaitement pu continuer à l’ignorer. La configuration voulue des forces sociales n’apparut que lorsqu’il eu près de 50 ans; jusqu’alors, il avait lutté, pour obtenir d’être reconnu comme poète, romancier et intellectuel – sans grand succès.
À quoi donc dut-il sa soudaine célébrité ?
À mon avis, de tous les événements qui amenèrent les lecteurs à prendre Goodman au sérieux, le plus important était le lancement du Spoutnik soviétique, premier satellite mis sur orbite dans l’espace, en 1957. Je ne veux pas dire par là que cet exploit ait fait forte impression sur Goodman, encore qu’il manifesta effectivement un grand enthousiasme à l’égard des programmes qui réussirent, deux ans à peine avant sa mort, à déposer sur la lune trois personnes relativement inoffensives. Mais le Spoutnik impressionna les Américains. Dans leur terreur, ils se mirent à examiner attentivement l’éducation américaine, cause probable des lacunes en matière de compétence technique et scientifique dans le cas des États-Unis. À partir de là, ils furent amenés à s’intéresser à ce qui était peut-être en train d’arriver à la jeunesse américaine. Or, voilà ce bien que Paul Goodman, dans Growing Up Absurd, était plus que disposé à leur dire. Dans sa préface à cet ouvrage, il observe :
La préoccupation que l’on manifeste actuellement de toutes parts sur l’éducation n’est que superficiellement liée à la guerre froide, à la nécessité de tenir la dragée haute aux scientifiques russes. Car, dans les conversations, on s’aperçoit vite qu’il y a chez les gens un malaise, une honte devant le monde qu’ils ont offert à leurs enfants pour qu’ils y grandissent. Ce monde n’est pas suffisamment viril; pas suffisamment ardent; un adulte peut avoir une attitude cynique (ou résignée) à l’égard des accommodements dont il paie son confort personnel, mais en aucune manière, il n’est disposé à voir ses enfants se faire voler une société où il vaille la peine de vivre (1960, p. XV).
Cela, étant donné la politique fiscale qui a été appliquée aux États-Unis depuis l’époque où Goodman portait ce jugement, semble trop généreux. Les idées que l’Amérique se fait de ses jeunes sont variables et complexes, mais quelques attitudes courantes sont assez stables, manifestes et influentes. Elles ne sont guère favorables. À en juger d’après la masse familière des annonces publicitaires télévisées à connotation sexuelle, des films pour adolescents et des opérations rejuvénation par la chirurgie esthétique, les Américains sont généralement tenus pour des adorateurs de la jeunesse. Mais, le plus souvent, ils convoitent la jeunesse, et la convoitise ne prédispose pas à l’affection.
L’adulte qui considère les jeunes avec sérieux est censé les regarder avec détachement, voyant en eux des problèmes ou des sources de problèmes. Les aborder avec respect en tant qu’êtres humains qui ont leur vie à vivre et leur « moi » à maîtriser éveille le soupçon, ycompris chez les jeunes eux-mêmes : ils ne sauraient imaginer, ou n’imaginent que trop crûment, ce qu’un adulte si bien disposé à leur endroit peut leur vouloir.
La Sputnikangst n’a pas changé tout cela. Presque partout dans le monde, l’hostilité entre les générations est aujourd’hui plus intense que jamais et va comme pierre qui roule de folie en folie, tandis qu’un vent d’hystérie s’empare d’allégations relatives à des cas d’abus de drogues et d’attentats à la pudeur sur la personne de mineurs sans qu’on cherche beaucoup à savoir de quoi il retourne. Mais la
Sputnikangst a bien ouvert une brèche dans le mur de l’indifférence des adultes à l’égard de la jeunesse, offrant ainsi temporairement une voie de passage au souci qu’avait Goodman de la condition des garçons et des jeunes hommes dans la société américaine.
Goodman reconnaissait sans ambages l’asymétrie de l’intérêt qu’il portait respectivement aux deux sexes, et il n’eut aucune difficulté à justifier le peu de cas qu’il faisait des filles dans son livre.
Politiquement incorrecte, son explication paraît aujourd’hui offensante et peu plausible; mais elle ne manque pas de logique.
Les problèmes que je veux aborder dans ce livre sont, dans notre société, foncièrement des problèmes qui sont propres aux garçons : comment être utile et faire quelque chose de soi. Une fille n’a pas
l’obligation de « faire quelque chose » d’elle-même ; ce n’est pas ce qu’on attend d’elle. Sa carrière n’a pas fonction d’autojustification,car elle aura des enfants, ce qui porte en soi sa justification absolue, comme tout acte naturel ou créateur. Dès lors, une question comme celle de l’emploi qu’une jeune femme moyenne occupe jusqu’à son mariage revêt moins d’importance. La recherche des emplois prestigieux acquiert du moins une certaine substance par sa relation avec un « meilleur » mariage (1960, p. 13).
Et voilà pour les filles dans Growing Up Absurd. Quant aux garçons, ils font face à la perpective d’une vie entière consacrée à un travail dénué de sens, à des tâches qu’ils n’auront pas choisies et ne sont pas libres de rejeter, qui ne leur procurent ni autonomie ni sécurité et qui sapent leur respect d’eux-mêmes. De manière répétée et poignante, Goodman déplore le manque de possibilités quant à un « travail viril ». Ceux qui, de gré ou de force, s’engagent dans les voies de la délinquance juvénile peuvent bel et bien y trouver davantage de défis à relever, quoiqu’ils s’exposent aussi à un risque énorme quant à leur évolution ultime.
Le besoin intense que Goodman éprouvait de créer des communautés avec de jeunes hommes virils et de vivre avec eux au sein de ces communautés a fortement influencé tous ses écrits ; il était fier de le reconnaître. La préoccupation qu’il avait des garçons et des images de garçons gâche une bonne partie de son œuvre de romancier et de poète, où il se laisse souvent aller à une complaisance telle que les personnages y apparaissent comme de simple reflets de ce qu’il aurait lui-même voulu être. Mais sa sexualité fut pour lui un atout dans Growing Up Absurd.
Je me sens qualifié pour porter cette appréciation car mon propre livre, The Vanishing Adolescent , publié en 1959, était à tout égard consacré lui aussi aux garçons. On a souvent confondu les deux livres. Dans les années 60, il m’est arrivé plus d’une fois d’être félicité par des gens qui me disaient combien ils avaient apprécié la lecture de Growing Up Absurd, ce à quoi je répondais en toute sincérité que je l’avais apprécié tout autant.
Quoique la notion d’égalité des sexes n’eût pas encore acquis le poids moral qui est aujourd’hui le sien, il y eut des lecteurs et des critiques pour me reprocher d’être de parti pris contre les jeunes femmes et de les négliger. Ces critiques ne me génèrent pas outre mesure. J’étais convaincu alors, comme aujourd’hui, qu’un auteur a le droit, voire le devoir, de n’écrire que sur les choses et les gens qu’il connaît et qui, d’une manière ou d’une autre, lui tiennent à cœur. Quelqu’un de moins limité que moi eût peut-être écrit un meilleur livre, mais si j’avais tenté d’élargir mon livre au-delà de mon propre champ d’affectivité, il n’aurait pas été meilleur pour autant. Goodman en aurait convenu incontestablement; nous nous sommes servis l’un et l’autre de l’homosexualité comme d’un talisman nous permettant d’écrire avec amour sur les jeunes hommes sans nous préoccuper de rechercher une quelconque justification fondamentale. Les lecteurs se sont emparés de Growing Up Absurd comme d’un livre sur l’éducation et la nécessité de réformer l’école – et, pour tout dire, la société. Comment auraient-ils pu l’accepter autrement ?
Dans l’esprit de Goodman, Growing Up Absurd était certes destiné à exercer une influence pratique et bénéfique sur l’école et sur la société. Mais ce qui fait la force du livre, c’est sa conviction et son affirmation sans vergogne qu’il faut choyer les garçons – et les élever au lieu, comme c’est si souvent le cas, de les mutiler et de les déformer pour les rendre utiles aux autres dans les rôles sociaux auxquels ils doivent se préparer. Inversement, la société estdans l’obligation de leur fournir les moyens de devenir des citoyens respectables, au sein d’une communauté productive et soucieuse de ses membres.
Si la Sputnikangst a aidé les adultes à prêter une oreille attentive à des hommes qui attachaient une grande valeur aux garçons, il existait certains autres facteurs dans le climat social du moment qui le rendirent plus réceptif au message de Goodman. Les climats sont changeants, ce qui peut les rendre propices à certains points de transition. Aujourd’hui, Growing Up Absurd aurait peu de chances de survivre à la dérision dont il serait l’objet de la part de femmes critiquant à juste titre la négligence proprement cavalière dont Goodman fait preuve à leur égard. Mais s’il avait paru quelques années plus tôt, le livre aurait été rejeté du fait de son acceptation de la sexualité adolescente elle-même – non de la seule homosexualité, qui n’est traitée que brièvement et de façon assez pédante dans Growing Up Absurd (1960, p.127-129), mais de la sexualité exubérante en général.
Au milieu des années 50, l’heure de Goodman était enfin venue. L’image de rigueur du jeune Américain « propre à hurler » était sous le feu de la critique et en passe d’être abandonnée par une industrie cinématographique de plus en plus tributaire de la clientèle des jeunes. En 1955, le jeune acteur James Dean, dont l’image paraissait faite pour aller droit au cœur de Goodman, se tuait dans un accident d’automobile à l’âge de 24 ans. Cette même année vit sortir À l’est d’Eden et La fureur de vivre, les deux films qui firent de Dean une icône autant qu’une étoile jetant ses derniers feux. Le premier grand succès à l’écran de l’immortel Elvis Presley, Love Me Tender , sortit en 1956. De toute évidence, les temps étaient mûrs pour des films et des livres célébrant la sexualité des adolescents mâles.
Le champ d’intérêt de Goodman était cependant focalisé et circonscrit par ses valeurs sociales fortes et assez exceptionnelles, ses engagements politiques et ses inclinations dans ce que nous appellerions maintenant les « styles de vie ». De propice, le climat politique changeant des années 60 se fit problématique. Il admirait ce que Norman Mailer et lui-même appelaient les « hipsters » (à la différence de leurs successeurs, les « hippies », enfants-fleurs pas assez coriaces à son goût – intellectuellement surtout – et dont la tendance était d’adopter des styles de vie ruraux propres à déconcerter ce New-Yorkais endurci).
Les « hipsters » ne tournent pas le dos à la société; ils s’installent dans ses coins et recoins en s’employant à tirer leur épingle de son jeu. Ils se débrouillent. Horatio, le jeune héros picaresque de l’énorme roman fantasmagorique The Empire City revu et publié par bribes entre 1942 et 1959, pourrait être considéré comme l’archétype du « hipster ».
Si la sexualité constitue un des pôles du discours hyperbolique de Goodman, c’est incontestablement la communauté qui lui procure l’autre. Communitas: Means of Livelihood and Ways of Life, écrit en collaboration avec son frère architecte Percival, qui en fut également l’illustrateur, est peut-être son meilleur livre. Publié en 1949 et revu en 1960, il est devenu un jalon de la littérature de l’urbanisme, à la manière de l’ouvrage plus présent à nos mémoires de Lewis Mumford, dont il manifeste l’influence. Communitas est beaucoup plus qu’un traité sur les problèmes d’urbanisation. C’est un discours moral qui tire sa substance des problèmes qu’affrontent ou éludent les citadins dans une société industrielle moderne; il est enoutre illustré de propositions concrètes en vue de la conception et de la construction d’une métropole dans laquelle la civilité pourrait fleurir et être entretenue.
Cet intérêt a continué à animer l’œuvre de Goodman pendant le restant de ses jours, s’étendant aux problèmes les plus vastes de politique nationale. L’indiquent à eux seuls les titres de quelques-uns de ses derniers essais : Utopian Essays and Practical proposals (1962a); The Society I Live in Is Mine (1963); People or Personnel (1965). Paradoxalement, peut-être, cela le datait et en même temps lui donnait un ton prophétique. Cela le datait parce que l’intérêt que les Américains portent à la communauté a tendance à être superficiel et nostalgique. Aux créateurs et distributeurs de Disneyland, Disneyworld et Eurodisney, le souci d’une communauté authentique peut sembler démodé, et à un tel point que c’est embarrassant. Mais c’est ce souci même qui est en filigrane dans la critique que Goodman adresse en permanence à la société américaine, l’accusant d’être mercenaire, impersonnelle, destructrice de la qualité du rapport personnel et de la fidélité, en même temps que de l’ordre naturel. Les effets de ces processus sociaux cataboliques sur la jeunesse étaient le thème de Growing Up Absurd; mais Goodman a continué, jusqu’à la fin de sa vie, à analyser et à dénoncer leur influence sur la société, tous ses aspects, au prix de renoncer aux formes littéraires qui avaient constitué son œuvre antérieure. Il aurait à peine pu trouver le temps ou l’intimité nécessaires pour continuer à écrire des œuvres de fiction. Pendant les dix années qui suivirent, les dernières de sa vie, il était trop sollicité en tant qu’homme public.
La décomposition de la communauté et, en corollaire, la destruction de la qualité de la vie américaine sont devenues si familières désormais qu’elles suscitent plus de cynisme que de colère. Goodman fut en colère pendant la plus grande partie de sa vie, mais il était parfaitement incapable de cynisme. Il était trop de la vieille école pour cela. Il parlait souvent de lui-même comme d’un « homme de lettres à l’ancienne », refusant avec un certain dédain l’étiquette de sociologue dont il se voyait souvent affublé. En fait, Goodman était encore plus passé de mode que cela.
Tout au long de sa vie difficile et souvent tourmentée, et avec plus d’insistance vers la fin, lorsqu’il pouvait compter retenir une certaine attention, Paul Goodman a été un patriote américain. Comme tel, il fut nécessairement un adversaire disert de la politique étrangère américaine dans la guerre du Viet Nam.
Rétrospectivement, il semble assez curieux qu’un homme qui s’attaqua en termes si incisifs aux valeurs fondamentales d’un État-nation réputé à l’époque pour la rudesse du traitement qu’il réservait à la contestation politique ait pu se voir épargner une mise au pilori publique et officielle. Pourquoi Goodman ne fut-il pas attaqué et détruit dès le début en tant qu’élément subversif ? La question est intéressante. La position politique singulière de Goodman lui valut d’être étrangement apte à se glisser sans une égratignure dans le créneau où sa chance allait finalement s’offrir – chose qui n’est sans doute plus concevable aujourd’hui.
Voici ce qu’observe Kingsley Widmer dans son étude parfois sévère, mais perspicace :
Il est bizarre à plus d’un titre que Goodman soit devenu au milieu des années 40 un anarchiste patenté. Lorsqu’il était étudiant, entre 20 et 30 ans et dans la plupart de ses écrits, il n’a manifesté que peu d’intérêt pour la doctrine libertaire ou même, dans l’ensemble, pour ce qu’on appelait alors « la conscience sociale ». Comme étudiant, il ne présentait guère les traits marquants du rebelle – bien moins que la plupart de ceux qui se firent anarchistes. Sa suffisance inquiète et défensive, ses origines petites bourgeoises, sa mince expérience du monde et son enfermement dans un microcosme intellectuel new-yorkais, l’insistance qu’il mettait à jouer le rôle de l’artiste et de l’homme de lettres, le peu de souci que lui causaient la plupart des questions d’égalité et de justice, rien de tout cela ne le prédisposait à enfourcher les grands chevaux du rebelle ou du révolutionnaire (Widmer, 1980).
Un caractère et des attitudes comme ceux-là, quoique moins antipathiques que ce que laisse entendre Widmer, auraient à n’en pas douter servi à atténuer la vulnérabilité de Goodman aux attaques contre l’expression de la sensibilité de gauche qui réduisirent au silence tant d’intellectuels américains pendant sa vie active. Il s’engageait rarement à fond dans des groupes qu’il ne pouvait pas dominer, et, de ce fait, il pouvait devenir au plus une figure-culte; or, les cultes dans lesquels il figura n’étaient pas explicitement politiques; leur moteur n’était pas la quête du pouvoir en tant que tel. À mesure que s’intensifiait l’opposition à l’intervention des États-Unis dans l’Asie du Sud-Est et, en particulier, à la manière dont les universités soutenaient l’effort de guerre, les activistes étudiants se tournèrent de plus en plus vers Goodman comme un des rares intellectuels de plus de 30 ans qui méritât leur confiance; beaucoup le portèrent au pinacle et lui, très fier de leur admiration, se plaisait dans leur intimité.
Cependant, il se fit leur critique intraitable et, le cas échéant, leur adversaire, lorsqu’ils concentrèrent leur attaque non seulement sur les universités en tant qu’instruments de la politique nationale mais sur l’idée même de l’université et sur le savoir universitaire lui-même. Il déplorait qu’ils soient convaincus que l’ignorance doit être chérie comme une vertu et qu’ils soient peu désireux de tirer des enseignements de l’histoire. Et il réprouvait la violence coercitive. Goodman était favorable à des formes de violence telles qu’un échange de coups de poing, qui ont le mérite d’exprimer des sentiments sans ambiguïté, de vider les abcès et de faire baisser les tensions. Mais dans les jours qui précédèrent sa fin, la révolte estudiantine des années 60 lui répugnait au même titre que la guerre elle-même.
Trait surprenant, Goodman ne manifesta pas non plus beaucoup d’intérêt pour l’activité politique proprement dite. Malgré la valeur qu’il attribuait à la communauté, il fit preuve de peu d’aptitudes à la politique et ne chercha pas à en acquérir. Il ne s’intéressait pas suffisamment aux autres, même pour les manipuler avec efficacité dans la durée. De fait, avant sa mort, Goodman avait abandonné le mouvement gauchiste étudiant – dont il demeure néanmoins une des figures mémorables.
L’énergie que ses contemporains qui professaient les mêmes valeurs sociales investissaient dans l’action qui les signala à l’attention hostile du pouvoir, Goodman la consacrait à sa carrière. Il passa la plus grande partie de sa vie à lutter pour obtenir une position établie dans le milieu universitaire; mais, quoique très demandé comme maître de conférences invité après la publication de Growing Up Absurd, il ne fut jamais titularisé à un poste académique permanent de type classique. Il fit ensuite ses études universitaires supérieures à l’Université de Chicago en 1936, survivant à quatre années passées dans la« deuxième ville » avant de retourner à New York pour y demeurer le restant de sa vie. Dix-huit ans plus tard, il achevait à l’Université de Chicago sa thèse de doctorat, que les Presses de l’Université publièrent en 1954 sous le titre de The Structure of Literature. Pour un critique révolutionnaire de la société, ces antécédents ne paraissent guère prometteurs. Mais, comme le fit remarquer en son temps un auteur que Goodman admirait, « Douces sont les voies de l’adversité laides et vénéneuses comme le crapaud, qui pourtant porte en sa tête un précieux joyau » (Shakespeare, Comme il vous plaira). Par moment, on aura pu en dire autant de Goodman lui-même. Mais le fait qu’il ait d’abord été longtemps absent de la scène publique a certainement servi à le protéger et à le préserver pour un service ultérieur, inestimable; de même que son sursis d’incorporation et le fait qu’il ait été réformé en 1944.
Deux autres leitmotive importants qui reviennent dans les propos de Goodman l’ont situé bien en évidence au cœur des polémiques de son temps, mais aujourd’hui limiteraient son influence; ce sont ses attitudes vis-à-vis de l’autorité de la science et à l’égard de la psychothérapie. Il soutenait l’une et l’autre avec enthousiasme. De telles positions, dans les années 50, situaient très précisément un homme sur l’éventail de l’opinion éclairée.
Alors – comme aujourd’hui – le grand public acceptait la science comme arbitre de la vérité et source du progrès. Mais après le lancement de la bombe atomique sur le Japon et les essais de la bombe à hydrogène, même le principal courant de pensée, et assurément les intellectuels progressistes, se mirent à envisager avec circonspection les possibilités sinistres du progrès scientifique et les utilisations que les gouvernements pourraient en faire. D’un anarchiste déclaré on aurait pu attendre qu’il s’associât avec la dernière énergie à ces craintes; mais Goodman bien qu’il fût un adversaire actif et ardent de toute belligérance des États-Unis, ne voyait pas les utilisations auxquelles se prête la science institutionnalisée comme étant implicites dans la nature même de l’entreprise scientifique.
Paradoxalement, la confiance qu’avait Goodman dans le potentiel bénéfique de la science confirme le célèbre grief de lord Snow, selon lequel la méconnaissance mutuelle profonde des « deux cultures » – la scientifique et l’humaniste – met en danger la société que leurs tenants partagent avec nous tous. Peu de scientifiques auraient pu faire preuve d’aussi peu de sens critique à l’égard des limites de leur propre discipline. Mais en tant qu’ancien élève et disciple de Richard McKeon qui avait acquis sa formation de philosophe à Columbia et à l’Université de Chicago, Goodman aurait dû se montrer plus sceptique envers la méthode scientifique comme outil épistémologique. Et après 1962, année de la parution de La structuredes révolutions scientifiques, l’ouvrage phare de Thomas Kuhn, alors que l’essentiel de la décennie la plus marquée par l’influence de Goodman était encore devant lui, n’importe quel savant sérieux se devait d’avoir pris conscience de ce que la connaissance scientifique était, comme toute connaissance, intrinsèquement idéologique et tributaire de la politique de sa discipline. Goodman continuait pourtant à espérer malgré tout la voir servir le monde en tant que deux ex machina. Ce trait, tout comme son patriotisme dont l’essence est la même, tend à obscurcir la validité permanente de ses apports plus fondamentaux à la pensée sociale, ce qui donne à son œuvre une apparence de naïveté et d’imperfection.
Paradoxalement encore, les idées sur le sentiment humain et la pensée humaine qui imprégnaient l’œuvre de Goodman, y compris les doctrines dionysiaques de Wilhelm Reich auxquelles il adhéra très tôt et la « gestalt therapy » qu’il pratiqua ultérieurement en qualité d’analyste profane étaient fortement et souvent sardoniquement antiscientifiques. Le paradoxene l’a probablement jamais gêné car ses objections à l’approche scientifique de la psychothérapie ne visaient pas les conventions de la méthode scientifique en tant que telle mais le fait de traiter les émotions et les comportements humains comme des phénomènes pouvant être analysés à froid indépendamment des contextes dans lesquels ils se produisaient. La« gestalt therapy », telle que la formulaient Fritz et Lora Perls, avec qui travailla Goodman, n’était pas une technique de recherche. Théoriquement, c’était un pot-pourri et fier de l’être, prédécesseur du « groupe de rencontre » et du « cri primal », qui allaient être à la mode quelques années plus tard. Mais cela ce passait en 1951, quand Goodman collaborait avecPerls au tome II de Gestalt Therapy (1) . Dans un passage de ce livre, Goodman affirme que les patients qui s’abandonnent à la « gestalt therapy » sont aidés par le fait :
(…) qu’ils finissent par « cesser de faire obstacle », pour citer la grande formule du Tao. Ils se dégagent de leurs conceptions préétablies de la façon dont les choses « devraient » se passer. Et dans le « vide fertile » ainsi créé, la solution vient à flots (Perls et al. p. 358-359).
Mais c’est un passage précédent qui illustre l’approche fondamentale :
La seule méthode de discussion utile est d’introduire dans le tableau la totalité du contexte du problème, y compris les conditions de l’expérience qui en est faite, le milieu social et les « défenses » personnelles de l’observateur. Autrement dit, il s’agit de soumettre le point de vue et le fait de le professer à l’analyse de la gestalt (…) nous avons conscience que c’est là un développement de l’argument ad hominem, seulement, il est bien plus offensant car non seulement on traite l’adversaire de coquin en lui reprochant donc d’être dans l’erreur mais encore on l’aide charitablement à s’amender !
Tao ? Cela sonne bien plutôt comme Mao. Or, ayant observé à l’invitation de Goodman une séance de « gestalt therapy », je puis confirmer que telle était bien l’impression qu’elle donnait, à voir et à ressentir. Mao et Lao Tseu ont eu l’un et l’autre un fort pouvoir d’attraction sur la jeunesse contestataire des années 60; et l’un et l’autre avaient quelque chose d’utile et d’inusité à faire valoir pour les aider, et nous aider, à comprendre ce qui ne va pas dans le monde où nous vivons. Mais, à vrai dire, Goodman n’était ni maoïste ni taoïste; il semble avoir été un tantinet manichéen, et sa pensée en est devenue biodégradable.
Si ces idées sur les soins et les nourritures de la psyché humaine qui séduisaient alors la jeunesse dans son engagement anticulturel paraissent aujourd’hui d’un atavisme repoussant, ce n’est pas tant parce que leur contenu lui-même est périmé que du fait que l’attitude à l’égard de la psychothérapie a évolué. A l’instar de la science, la psychothérapie ne fait figure aujourd’hui ni d’instrument de libération prometteur ni forcément d’instrument d’oppression, bien qu’elle puisse être et soit souvent utilisée efficacement à l’une ou l’autre fin. Plus fondamentalement, toutes deux sont des épiphénomènes de la société industrielle moderne et, comme telles, ne sauraient être quittes de ses abus. Nous les prenons pour ce qu’elles valent, payons leurs bienfaits escomptés un prix qui est au-dessus de nos moyens et sommes, à juste titre, préoccupés des conséquences. Lao Tseu nous a pourtant bien avertis que ceux qui veulent prendre le bien en rejetant le mal, comme ne cessait de le faire Goodman, voient le mal leur revenir deux fois plus virulent.
Le facteur commun qui est la base de la foi que Goodman plaçait dans l’autorité de la science et l’efficacité de la psychothérapie – laquelle est devenue désormais beaucoup moins acceptable – est sa volonté d’ingérence, à savoir : une intervention technique sans scrupule dans des situations et processus qu’il trouva déplorables. Cela a changé, quoique probablement pas de manière permanente, au cours des 20 dernières années. En partie par réaction au fiasco du Viet Nam, même les Américains en sont venus à comprendre que les bonnes intentions ne garantissent pas de bons résultats, et ne peuvent en aucune manière justifier que l’on s’ingère de force dans des situations que l’on ne comprend peut-être pas aussi bien qu’on le croit. Ni Goodman, ni moi-même ne conviendrions, bien entendu, que nos intentions en Indochine fussent bonnes. Il semble donc qu’il s’agisse d’une perspicacité assez limitée. Néanmoins, même si on n’est encore bien loin d’un vrai repentir, cela suffit parfois pour tempérer les réactions actuelles au zèle réformiste.
Aujourd’hui, le ton impérieux de Goodman semble être d’un optimisme gênant. La plupart des abus auxquels il s’est attaqué sont trop profondément enracinés dans notre culture et notre économie pour être extirpés sans risques de destruction, entreprise dangereuse autant qu’ingrate, mais nécessaire. Si perspicaces et prémonitoires que ses vues aient été, manifestement, son approche des problèmes et sa rhétorique paraissent aujourd’hui complaisantes, imprécises et, curieusement, à la fois empreintes de roublardises et de naïveté. Pour tout dire, peut-être adolescentes – mot que Goodman aurait à coup sûr pris comme un compliment.
Trois livres sur l’éducation
Dans la section précédente, j’ai montré comment les convictions et les interrogations majeures qui imprégnaient toute l’œuvre de Paul Goodman avaient été influencées par le climat social dans lequel il vivait et comment ce climat social avait déterminé l’accueil qui fut réservé à son œuvre. Ce faisant, j’ai donné de son évolution et de sa place dans la société une image plus cohérente que ce qu’elles auraient pu être en fait. Et je n’ai pas expliqué comment un auteur des plus prolifiques qui n’aborda pas les questions d’éducation avant la dernière décennie de ses 60 ans de vie ait pu se faire une place aussi en vue parmi les critiques de l’instruction scolaire.
La vie de Goodman a eu en fait plus de cohérence que ne laisse croire sa réputation. Etant donné l’orientation sexuelle qui a teinté son œuvre et qu’il proclama publiquement longtemps avant que la plupart des homosexuels aient jugé prudent de le faire, on ne s’attendrait guère que Goodman ait vécu successivement avec deux femmes pendant la plus grande partie de sa vie adulte. La première, Virginia Miller, qui vécut cinq ans avec lui, lui donna une fille. La deuxième, Sally Duchsten, lui donna un fils et une fille, à 17 ansd’intervalle. Le couple vécut ensemble pendant 27 ans, jusqu’à la mort de Goodman.
Malgré la plaisir évident qu’il prenait à jouer le rôle de l’iconoclaste et de l’anarchiste, sa famille était au centre de sa vie affective. L’affection lucide marquée d’une pointe d’humour, que son fils Matthew portait à son père sautait aux yeux de quiconque le connaissait. Sans nul doute, elle était réciproque. Matthew se tua en 1967 dans un accident de montagne, peu avant son 21e anniversaire. Paul était absent au moment de drame, mais s’il y fallut encore cinq ans, ce drame mit aussi fin à sa vie.
Bien que Goodman se montrât parfois très fier de vivre dans la promiscuité, il était foncièrement incapable d’infidélité. Et si l’écrivain toucha à tous les genres – poésie, théâtre,roman, nouvelle, critique littéraire et sociale – son œuvre (2) est cohérente et, à vrai dire même, répétitive. Dans quelques-uns de ces genres (surtout le théâtre, parfois la poésie), il fut un piètre auteur, et ses meilleurs morceaux ont été souvent des polémiques dont les accents de colère ne nuisaient en rien à la qualité.
Mais dans son ensemble, l’œuvre reflète avec une remarquable fidélité les valeurs et les questions qui préoccupaient profondément l’homme.
Cependant, l’accueil fait à Growing Up Absurd marqua un changement dans la nature de la production de Goodman. Il cessa de publier des textes comme les essais que son ami Taylor Stoehr rassembla et publia après sa mort sous le titre Nature Heals: the Psychological Essays of Paul Goodman (Stoehr, 1977) et Gestalt Therapy (Perls et al., 1951). Il cessa d’écrire les nouvelles dont il avait été l’auteur si prolifique et que Stoehr réunit aussi en quatre volumes pour les publier à titre posthume (Stoehr, 1980);
Growing Up Absurd marque une césure intellectuelle entre la production antérieure de Goodman – œuvres littéraires et philosophiques largement oubliées – et les écrits polémiquesqui suivirent sur des questions d’intérêt public, notamment l’éducation, et qui nous semblent plus pertinents que jamais.
Qu’est-ce qui a été l’origine de ce changement ? Goodman a-t-il subitement changé d’intérêt ? Tout dépend de ce qu’on entend par « intérêt », mais dans l’ensemble on peut dire que non.
Il était certainement de l’intérêt de Goodman d’exploiter la possibilité que la renommée lui offrait de toucher un plus large public. Pour la première fois dans ses 50 années d’existence, lui et sa famille jouissaient de revenus convenables. Ses œuvres de fiction connurent aussi une deuxième jeunesse;
The Empire City (1959) et les nouvelles suscitaient un regain d’intérêt et furent réédités. Mais ce n’était qu’en continuant à développer la critique sociale du genre manifesté dans Growing Up Absurd
qu’il pouvait continuer à faire face aux sollicitations croissantes dont il faisait désormais l’objet en tant que conférencier – et à alimenter ces sollicitations; et l’apogée de ces sollicitations fut sans doute l’invitation qui lui fut faite en 1966 par la Radiodiffusion canadienne de donner les prestigieuses conférences Massey sur« L’ambiguïté morale de l’Amérique » (Like a Conquered Province, 1967), et en tant que contributeur à de grandes revues d’opinion américaines.
Growing Up Absurd est-il le meilleur livre de Goodman ? Les critiques sont partagées à cet égard mais c’est, sans l’ombre d’un doute, le livre qui a exercé le plus d’influence. Pourquoi cela ? Et pourquoi a-t-il contribué à faire reconnaître Goodman comme autorité de premier plan dans le domaine de l’éducation ?
Dans Growing Up Absurd, Goodman n’a, en fait, pas grand-chose à dire sur les écoles en tant que telles; c’est plus tard, dans Compulsory Miseducation (1964), qu’il s’est exprimé sur le sujet.
Growing Up Absurd lui a fourni une tribune de laquelle il pouvait aborder les problèmes de la sexualité, de la communauté et d’un développement affectif et intellectuel contrarié qu’il avait ressenti toute sa vie. Mais dans la société industrielle on traite les jeunes gens comme des écoliers; pendant les heures d’école, il est illégal pour eux d’être ailleurs qu’à l’école. Ce que l’on attend habituellement de l’école, c’est qu’elle prépare les élèves à un emploi utile et à une bonne carrière et qu’elle soit conçue pour favoriser leur épanouissement; l’écoledevrait maîtriser leur sexualité exubérante; l’école est faite pour eux et c’est là qu’ils doivent être – dans le pire des cas, elle empêche les gosses de traîner dans les rues. Le rejet de l’école est un problème social grave dont les lecteurs de Growing Up Absurd
espéraient que le livre les aiderait à le résoudre.
Goodman rejetait toutes ces idées que l’on se fait de l’école. Dans l’éducation, comme dans la vie, on ne peut obtenir une amélioration réelle qu’en restructurant fondamentalement la société elle-même, insistait-il.
Car on peut montrer, et j’ai l’intention de montrer que, (…) notre société d’abondance est à l’heure actuelle simplement déficiente quant à un grand nombre des possibilités objectives les plus élémentaires des buts exaltants grâce auxquels on pourrait grandir. Elle n’offre pas assez de travail d’homme. Il lui manque un discours public honnête; les gens n’y sont pas pris au sérieux. Elle contrarie l’aptitude et crée la stupidité. Elle corrompt le patriotisme candide. Elle corrompt les beaux-arts. Elle enchaîne la science. Elle étouffe l’ardeur animale. Elle décourage les convictions religieuses de la justification et de la vocation et estompe le sentiment de l’existence d’une création. Elle n’a pas d’honneur. Elle n’a pas de communauté. Jetez un simple coup d’œil à cette liste. En capitales comme en minuscules, elle ne contient rien de surprenant. je n’ai rien de subtil ou de neuf à dire dans ce livre; ce sont des choses que tout le monde sait(1960, p. 12).
Eh bien, oui ! N’est-ce pas là ce que la société est censée faire ? La civilisation a ses sujets de mécontentement.
En ce qui concerne les emplois et les carrières, Goodman considère qu’ils revêtent une importance capitale – comment en serait-il autrement ? Le premier chapitre de Growing Up Absurd traite, comme son titre l’indique, des « emplois » : le rôle de l’école est de préparer les élèves à obtenir un emploi.
Pour ceux qui n’ont pas reçu une instruction, il n’y a pas d’emplois du tout. Sur le plan humain, cela est très regrettable car il est permis de penser que ceux qui ont appris quelque chose à l’école et ont su survivre à l’ennui qu’elle distille sauraient aussi tirer parti de l’oisiveté, tandis que ceux qui n’ont pas d’instruction sont inutiles aussi comme oisifs. Pour bien vivre ses loisirs, un peuple doit faire preuve d’application et avoir un sens poussé des valeurs et un puissant esprit communautaire; et cela n’a pas été le génie américain.
De ce point de vue, on peut comprendre avec compassion le pathétique de la politique scolaire américaine qui, autrement, semble si inexplicable : obliger, à grands frais, à aller à l’école des gosses qui ne veulent pas y aller et qui n’en tireront aucun profit. Il y a, bien sûr, des motifs non pédagogiques : soulager le foyer, lutter contre la délinquance, empêcher que les gosses n’entrent dans la compétition pour l’emploi. Mais il y a aussi ce motif pédagogique désespérément sérieux, qui est de préparer les gosses à participer d’une manière ou d’une autre à une société démocratique qui n’a pas besoin d’eux. Sinon, qu’adviendra-t-il d’eux s’ils ne savent rien ?
L’enseignement public obligatoire s’est généralisé au XIXe siècle pour apprendre aux enfants à lire, à écrire et à compter, aptitudes nécessaires à la construction d’une économie industrielle moderne. L’économie ayant dépassé le stade de la maturité, les enseignants luttent pour conserver le système élémentaire alors que l’économie n’a plus besoin de lui et rechigne à payer. Elle a besoin de scientifiques et de techniciens, les 15 % de « ceux qui sont doués pour les études » (1960, p. 32-33).
Pour Goodman, admirateur de John Dewey qui croyait fermement que l’instruction scolaire doit s’enraciner dans l’expérience personnelle et la vie de la communauté, les écoles font partie du problème. Etant des composantes de ce qu’il appelle « le système organisé », elles ne peuvent guère contribuer à la solution. Growing Up Absurd est consacré à une mise en accusation de ce système, catégorie par catégorie, pour son influence funeste sur « la structure de classes », « l’aptitude », « le patriotisme » et « la foi » – ce sont quelques-uns des titres de chapitre. Dans un dernier chapitre, intitulé « La communauté absente » (The MissingCommunity), Goodman récapitule en détail « les révolutions manquées des temps modernes – les manquements et les compromis – dont l’effet conjugué crée les conditions qui font qu’il est difficile pour les jeunes de grandir dans notre société » (les italiques sont de Goodman, 1960, p. 231). Si ses diagnostics ont cessé d’étonner, c’est qu’en dépit de nombreux changements technologiques et politiques superficiels, il y en a si peu d’amélioration dans les 32 années qui se sont écoulées depuis qu’il les a formulés.
On pouvait difficilement attendre de Goodman, l’anarchiste, qu’il présente et défende un programme systématique de changement social. Et il ne l’a pas fait. Plus que son patriotisme authentique, c’est son anarchisme qui lui a évité d’être condamné pour subversion. N’attendant pas grand-chose de l’État, il n’a exprimé aucune revendication doctrinaire visant un changement fondamental. Il était libertaire, pas socialiste. On ne saurait être plus américain.
Quatre ans après Growing Up Absurd, Goodman publie un livre traitant expressémentde l’éducation, ou plutôt, comme l’indique son titre, Compulsory Miseducation, de la « maléducation » obligatoire (1964). Le livre est essentiellement une suite, plus courte, de Growing Up Absurd, mais il offre une source plus facilement maîtrisable aux lecteurs qu’intéressent surtout les idées de Goodman sur l’éducation.
À la différence de Growing Up Absurd , Compulsory Miseducation contient une critique menée dans plusieurs directions de l’instruction scolaire et propose des programmes provocateurs visant à améliorer l’enseignement aux niveaux primaire, secondaire et universitaire. En fait, ces programmes visent moins souvent à améliorer l’instruction scolaire qu’à mettre les apprenants en mesure de se soustraire à l’école et de trouver d’autres voies que l’école qui seraient peut-être de nature à améliorer, au lieu de compromettre, leurs perspectives en matière d’éducation.
C’est dans les écoles et au travers des médias, plus qu’à la maison ou au contact de leurs amis, que la masse de nos citoyens de toutes classes apprend que la vie est inévitablement routinière, dépersonnalisée, vénalement calibrée, que le mieux à faire est d’obéir à la consigne et de se taire, qu’il n’y a pas place pour la spontanéité, la sexualité sans inhibition, la liberté d’esprit. Formée à l’école, elle retrouvera ensuite la même qualité à travers l’emploi, la culture, la politique. Voilà ce qu’est l’éducation, la maléducation, la socialisation aux normes nationales et l’enrégimentement conforme aux « besoins » nationaux (1964, p. 23).
Affirmant que « le système obligatoire est devenu un piège universel et ne vaut rien », (p. 31),Goodman présente six propositions alternatives :
1. « Pas d’école du tout » pour quelques classes. Ces enfants seront choisis dans des foyers tolérables mais pas nécessairement cultivés. Il faut qu’ils soient voisins et suffisamment nombreux pour constituer une société aux yeux de chacun et pour qu’ils ne se sentent pas simplement « différents » (…). Cette expérience ne peut être dommageable aux études des enfants car il a été amplement vérifié que des enfants normaux peuvent absorber le travail des sept premières années de scolarité moyennant quatre à sept ans d’enseignement bien conduit.
2. Se passer des bâtiments scolaires pour quelques classes; fournir des enseignants et utiliser la ville elle-même comme école, avec ses rues, ses cafétérias, ses magasins, ses cinémas, ses musées, ses espaces verts et ses usines (…).
3. Recourir aux services, sans qualification spéciale, d’adultes appropriés choisis dans la communauté – le pharmacien, le commerçant, le mécanicien – comme éducateurs qui conviennent pour initier les jeunes au monde des adultes (…). L’expérience serait certainement instructive et stimulante pour les adultes.
4. Rendre facultative la présence en classe, à la manière du Summerhill de A.S. Neill. Si les enseignants sont bons, l’absentéisme tendra à disparaître; s’ils sont mauvais, qu’on le leur fasse savoir. La loi d’obligation est utile en ce qu’elle permet d’éloigner les enfants de leurs parents, mais elle ne doit pas au bout du compte piéger les enfants (…).
5. Décentraliser une école urbaine (ou ne pas bâtir un nouveau gros bâtiment) en petites unités, – de 20 à 50 – dans des locaux commerciaux ou des foyers de club disponibles. Ces mini-écoles, dotées d’un tourne-disque et de billards électriques, pourraient associer le jeu, la convivialité, la discussion et l’enseignement formel. À l’occasion d’événements spéciaux on pourrait réunir les petites unités dans le même auditorium ou gymnase de manière à leur donner le sens d’une plus grande communauté (…).
6. Utiliser une fraction de l’argent de l’école pour envoyer les enfants séjourner deux mois par an dans des exploitations agricoles économiquement marginales, à raison par exemple de six enfants de milieux divers chez un même agriculteur. La seule condition requise serait que celui-ci les nourrisse et ne les batte pas; lemieux étant, bien sûr, qu’ils participent aux travaux de la ferme (…). Par-dessus tout, il faut appliquer ces propositions, ou d’autres, à des individus et à des petits groupes sans l’obligation de l’uniformité. Il existe une argumentation, en dépôt auprès des régents (Direction de l’éducationde l’État de New York), en faveur de normes uniformes de performances, mais celles-ci ne peuvent être obtenues par des techniques uniformes (1964, p. 32-34).
Rétrospectivement, ces suggestions, quoique faites en toute sincérité, ne semblent pas être tout à fait sérieuses comme suggestions tendant à remédier aux insuffisances que Goodman dénonçait dans le système éducatif. Il se devait de les présenter; les critiques, surtout en Amérique, étant censés dire à leurs lecteurs comment corriger les abus qu’ils déplorent. De plus, Goodman avait une attitude ambivalente à l’égard de sa position d’intellectuel; il avait terriblement besoin d’être considéré comme un homme pratique. Je me rappelle l’avoir entendu rapporter avec indignation la réaction de certains responsables de la radio et de la télévision qui l’avaient invité à participer à une discussion de groupe sur l’influence du parrainage sur le contenu des programmes. À cette époque, les programmes étaient parrainés et les parrains intervenaient souvent directement dans leur planification; et Goodman de suggérer qu’on leur permette d’acheter du temps d’antenne pour leurs messages commerciaux comme ils achètent de l’espace publicitaire dans la presse écrite, au lieu de les laisser se présenter comme« l’entreprise qui vous offre » ceci ou cela.
Telle est, bien sûr, la façon dont la télévision est aujourd’hui financée; or, selon Goodman, ces responsables étaient furieux de sa prétention à les aider à résoudre le problème. « Nous nous attendions à vous voir vous attaquer à notre programmation en la déclarant abominable », expliquaient-ils, « il ne peut en être autrement ! Par contre, nous ne nous attendions pas à vous entendre nous dire comment gérer nos affaires ».
Goodman en a parlé dans ses écrits; je n’ai pas réussi à retrouver la citation exacte dans la masse de ces écrits, mais je l’ai bien entendu raconter l’histoire. Et plus d’une fois.
À travers toute son œuvre, Goodman se plaint que rien de réel ne sera fait pour corriger les choses contre lesquelles il s’élève parce que, quelles qu’elles soient, elles reflètent la politique des gens en place et, du reste, elles n’existeraient pas s’il en était autrement. En fait, ses suggestions ont fini par être largement adoptées, quoiqu’en ordre dispersé et sous forme atténuée. Certaines font désormais partie des pratiques établies, comme celles d’emmener les élèves dans la ville elle-même qui, sous l’impulsion novatrice d’un inspecteur général de l’enseignement de Philadelphie, a dépassé le cadre d’une excursion classique pour devenir une interaction beaucoup plus complète du type décrit par Goodman. Des praticiens respectés appartenant à la mouvance majoritaire comme Theodore Sizer, dans ses livres influents Horace’s Compromise (1984) et Horace’s School (1992), ont recommandé de diviser les écoles qui sont grandes, anonymes, en petites unités, chacune ayant ses propres enseignants, encore qu’il concevrait un programme d’enseignement bien plus académique que Goodman. Le plan de Sizer fait actuellement l’objet d’une investigation dans la pratique faite par quelque 200 membres de la « Coalition of Essential Schools », formée en 1984 ; (Sizer, 1992, p. 207 et suiv.).
Inversement, plusieurs des pratiques éducatives que Goodman condamne dans Compulsory Miseducation ont été, soit abandonnées, soit adaptées au point d’être méconnaissables. Il est difficile aujourd’hui ne serait-ce que de se rappeler ce que l’on entendait exactement par « l’instruction programmée », l’engouement pour les « machines à enseigner »auquel Goodman a consacré tout son chapitre VI (1964, p. 80-91). Les ordinateurs sont devenus moins voyants mais plus omniprésents dans l’instruction scolaire, comme dans la vie, tandis que la menace de dépersonnalisation et de réduction du rôle de l’enseignant est devenue réalité plus complètement encore du fait des moyens institutionnels que des moyens technologiques.
L’abaissement du niveau de compétence du métier d’enseignant qui a fait l’objet d’une grande partie du brillant travail de Michael Apple (1979) est en train d’être accompli par prescription plus que par mécanisation, avec la publication de guides de l’enseignant qui stipulent les usages admissibles des matériels. La centralisation de l’établissement des programmes d’enseignement et les sanctions encourues par les enseignants qui débordent le cadre des matériels fournis sont allés beaucoup plus loin que n’aurait pu l’imaginer Goodman, et pas seulement ni même principalement aux États-Unis. James Meikle (1992) fait état d’un récent resserrement du contrôle national de l’éducation au Royaume-Uni, où un « canon obligatoire des grandes œuvres » va être aussi introduit sur l’avis du National Curriculum Council, dont les recommandations ont été accueillies favorablement par John Pattern, secrétaire à l’éducation. Celui-ci prescrit par ailleurs pour les trois prochaines années que tous les élèves âgés de 14 ans soient soumis à des examens sur une des trois pièces suivantes de Shakespeare : Le songe d’une nuit d’été, Roméo et Juliette et Jules César. Dans les recommandations, David Pascall, ancien conseiller du Premier ministre, qui préside le National Curriculum Council, estimait que les enseignants devraient corriger avec finesse les élèves qui emploient un langage peu châtié sur les terrains de jeux. « L’anglais est la matière la plus importante du programme d’enseignement national, il établit les fondations de tout apprentissage futur et celles de la réussite dans la vie », dit-il. Près de trente ans plus tôt, Goodman avait observé :
Le langage ne peut être personnel et poétique lorsqu’il y a gêne à se révéler, y compris à soi-même, ou là où il existe une méfiance animale ou un soupçon de la communauté, une honte du spectacle donné et de l’excentricité, s’agrippant aux normes sociales. Le langage ne peut être initiateur lorsque les principales institutions sociales sont bureaucratisées et fixent par avance toutes les procédures et décisions, si bien qu’en fait l’individu n’a de toute façon aucun pouvoir qu’il soit utile d’exprimer. Le langage ne peut être exploratoire et heuristique lorsqu’une angoisse chronique insidieuse retient les gens de risquer de se perdre dans une confusion momentanée et de s’en remettre pour les secourir précisément à la communication fut-elle babelienne (1964, p. 79).
Si approprié qu’il ait évidemment été pour Goodman d’avancer des suggestions utiles en vue d’améliorer la qualité de l’instruction scolaire, il me semble qu’elles affaiblissent son travail. Sa grande force tient à la clarté de la vision morale et civique sur laquelle il fonde sa critique de l’école et de la société dont elle est un élément et dont elle était alors et est encore l’instrument. Il est gênant de le voir néanmoins si disposé à aider à arranger au mieux un travail mal fait; même si, dans l’intérêt de l’élève, on se doit de le tenter. Trente ans plus tard, il est loisible de constater que bon nombre des choses qu’il préconisait ont été effectivement adoptées comme pratique habituelle et qu’à y bien regarder, tout compte fait, ce fut un coup d’épée dans l’eau.
Comme le montre l’analyse de Goodman dans toute sa substance, les améliorations apportées à l’instruction scolaire passent par une amélioration radicale de la situation sociale et politique des jeunes. Ils l’attendent depuis longtemps. La troisième et dernière partie de Compulsory Miseducation est consacrée à une analyse de l’enseignement universitaire. Goodman commence par souligner ce que la formation académique a d’inadéquat pour beaucoup de jeunes qui se sentent obligés de faire des études supérieures pour assurer leur avenir économique, en vue duquel, de toute façon, l’université n’apporte souvent pas grand-chose de pertinent. Un des soucis qui affleurent avec insistance dans une bonne part de son œuvre, et qu’a renforcé l’expérience vécue par les jeunes qui ont tourné le dos aux études dans les années 60, est celui que suscite l’extrême difficulté qu’il y a à vivre une vie de pauvreté stable et décente, à l’écart de la compétition. Goodman avance « Deux propositions simples » (1964, p. 124-130) pour donner plus de sens au « collège » et le rendre plus accessible. Voici la première :
(…) une demi-douzaine des plus prestigieux « collèges » où sont enseignées les lettres et les sciences humainesannonceraient qu’à compter de 1966, ils posent comme condition d’admission une période de deux ansconsacrée, après le lycée, à quelque activité de maturation (…) Cette proposition a un double objet : permettreaux élèves d’acquérir une expérience suffisante de la vie pour être « éducables » au niveau universitaire (..) etbriser le carcan de 12 années passées à apprendre les leçons données aux fins de la notation, de manière quel’élève puisse aborder ses études supérieures avec un élément de motivation intrinsèque, et dès lors peut-êtreassimiler quelque chose qui soit de nature à le transformer.
La seconde proposition, encore plus simple, préconisait l’abolition du système de notation et l’utilisation un peu plus poussée, il est vrai, des tests à des fins de diagnostic pour guider l’enseignement. Hampshire College, à Amherst (Massachusetts) l’a fait, encore que, en fin d’études les étudiants doivent rédiger des compositions acceptables pour recevoir leur diplôme.
Tout n’est pas si simple, et Goodman a dû le savoir. Cette section de Compulsory Miseducation, qui traite du collège universitaire, semble être une resucée, sous une forme condensée, de l’ouvrage publié par Goodman en 1962, The Community of Scholars. Une bonne part de ce livre est consacrée à une histoire librement présentée des universités depuis le Moyen Age, dans laquelle on définit leur nature essentielle et détermine dans quelle mesure elle peut encore être sauvée des ravages de la bureaucratisation. Livre intelligent et, en son temps, extrêmement pénétrant. En outre, Goodman était à peu près le seul critique de l’éducation de tendance de gauche à parler avec respect des études classiques et à y souscrire dans ses écrits, en tant qu’« homme de lettres à l’ancienne », bien entendu, encore fier des lettres « Ph. D ». Reste que The Community of Scholars procure aujourd’hui une sensation un peu étrange, comme un traité de cétologie qui aurait été rédigé par Jonas.
Place de Goodman parmi les critiques de l’éducation, naguère et aujourd’hui
En 1967, le journaliste et critique social Peter Schrag a publié dans la Saturday Review un article dans lequel il résumait et évaluait la critique de l’instruction scolaire à laquelle un certain nombre d’entre nous, dans une optique sensiblement analogue, s’étaient livrés au cours de la décennie précédente. Outre Goodman et moi-même, Schrag évoquait entre autres George Dennison, John Holt, Herbert Kohl et Jonathan Kozol, James Herndon, le plus perspicace d’entre nous, et aussi le seul à avoir été et être demeuré durant toute sa vie active professeur dans l’enseignement public, n’avait pas encore publié The way It Spozed to Be (1968), premier d’une série de livres qui sont encore, à ma connaissance, ceux qui rendent le mieux compte de la façon dont les écoles (en l’occurrence celles de Californie du Nord) fonctionnent réellement au quotidien.
Schrag nous appelait « les critiques romantiques de l’éducation », signifiant par là que l’attention chaleureuse que nous portions aux écoliers était admirable mais que nos revendications politiques concernant les écoles étaient dénuées de réalisme. Cependant, aux États-Unis dans les années 60, le conflit culturel était partout et suffisamment intense pour donner à penser que si la politique est l’art du possible, cet art était en train d’emprunter une voie plus expressionniste. Nous faisions partie du mouvement, tel Archimède en quête d’un poste sûr.
Si nous nous reconnaissions les uns les autres comme des pairs partageant bon nombre de valeurs qui étaient bien mal servies dans les écoles, il y avait entre nous des différences sensibles. George Dennison avait fondé à l’automne 1964 « l’école de First Street », dans le sud-est de Manhattan, avec un groupe de 23 enfants, pauvres pour la plupart, dont les écoles publiques n’avaient plus que faire. Leur seul point commun au départ était leur haine et leur méfiance à l’égard du système scolaire qui les avait taxés de rebuts. Par son propre succès, l’école se vit obligée de fermer ses portes abruptement à la fin de l’année scolaire, car lorsqu’elle fut à court de fonds, les fondations refusèrent de la doter en alléguant qu’à partir du moment où elle avait fait ses preuves, elle n’entrait plus dans la catégorie des écoles expérimentales. Dennison a décrit l’école et ses élèves dans Les enfants de First Street : une école à New York (1969), qui est peut-être le livre le mieux écrit et le plus émouvant que quiconque d’entre nous ait écrit.
Bien qu’il eût reçu avec Paul Goodman, une formation à l’Institute for Gestalt Therapy et qu’il le cite en termes favorables dans Les enfants de First Street, son œuvre révèle par comparaison, le sentimentalisme de Goodman. Les élèves de Dennison utilisent bel et bien la ville comme leur classe, et leurs comportements dans la vie le poussent souvent aux bornes de l’exaspération :
J’en arrivais à être totalement dégoûté d’eux tous, avec leurs braillements incessants, leur violence, leur craintivité, leurs personnalités superficielles, misérables, leurs superstitions, leur culte des cadillacs et des malfrats, leurs fantasmes stupides, leur impatience, leur vacuité. J’ai fait demi-tour sans un mot et me suis éloigné, avec la ferme intention de les abandonner à leur sort et de rentrer à la maison (Dennison, 1969, p.145) (3).
Certes, Jose, le jeune portoricain saturnien que Dennison réussit quasiment à réalphabétiser à force de soins attentifs après que les écoles de la ville de New York eurent chassé de sa tête la langue maternelle qu’il avait su parler et écrire couramment offre un contraste saisissant avec Horatio, l’adolescent latino-américain, héros fantastique de The Empire City (1959), en lequel Goodman incarne la réalisation de son désir. N’empêche que Goodman voyait juste lorsqu’il voulait envoyer quelques-uns de ces gosses de la ville qu’il aimait vivre un moment de répit dans une ferme comme celle de Dennison; et Dennison leur aurait fait – j’en suis sûr – bon accueil dans la ferme du Maine où il passa les années ultérieures de sa vie d’éminent romancier.
John Holt, un des amis les plus proches de Dennison, était lui aussi tout différent de Goodman. Ancien commandant de sous-marin dans la marine américaine pendant la seconde guerre mondiale et professeur de mathématiques, Holt était un homme pondéré. Son premier livre, qui le rendit célèbre, How Children Fail (1967), naquit de la curiosité que lui inspiraient les « fausses-couches » intellectuelles qui font que certains enfants sont incapables d’apprendre l’arithmétique élémentaire. Une observation minutieuse lui révéla qu’ils avaient en général l’esprit occupé par un tout autre problème : d’après le comportement de la maîtresse, ils tentaient d’imaginer la réponse qu’elle voulait; ils ne pensaient pas du tout aux mathématiques.
Aujourd’hui encore, il n’est pas rare que l’on cite de travers le titre du livre de Holt, en disant « Why Children Fail ? », mais Holt n’était pas si clinique; il ne s’était pas demandé « pourquoi ? » mais « comment ? », et dès qu’il eut compris le « comment », le « pourquoi »lui sauta au yeux. L’école avait pour ressorts la compétition et l’angoisse et les enfants comprenaient très bien ce qu’on exigeait réellement d’eux et la nécessité d’éviter l’échec à tout prix, au grand dommage de ce qu’ils auraient pu apprendre autrement. Holt ne tarda pas à éprouver aussi, et peut-être plus intensément, la répugnance et le mépris que l’éducation formelle inspirait à Goodman en tant qu’obstacle à l’éducation. Demeuré toute sa vie célibataire, plus qu’aucun d’entre nous, je crois, il aimait les enfants comme des personnes et entretenait avec eux un rapport mystérieux.
Il n’y avait pas deux êtres plus dissemblables que Goodman et lui. Goodman : la quintessence du juif new-yorkais, conférencier séduisant à la fois désinvolte et prétentieux; Holt : né dans le Middle-West, élevé dans le Colorado, également désinvolte mais conférencier terne et simple dont l’auditoire et les lecteurs comprenaient exactement ce qu’il voulait dire. Ils avaient effectivement en commun de s’intéresser à la politique au niveau local, communautaire, mais de façons bien distinctes. Goodman était un idéologue de la communauté, Holt un technicien flegmatique qui s’y entendait de mieux en mieux à montrer aux parents comment soustraire leurs enfants au système organisé que Goodman dénonçait avec virulence. Il organisa un réseau de correspondants dans toute l’Amérique du Nord et au-delà à l’aide d’un bulletin d’information et de liaison permettant aux parents de se tenir mutuellement au courant de leurs progrès et de leurs problèmes dans l’organisation de petites écoles indépendantes ou de l’instruction de leurs enfants à domicile. Mais il s’intéressait fort peu aux grandes questions d’ordre politique et ne fit jamais l’effort d’analyser l’aspect ségrégationniste de son approche de la déscolarisation, qui aurait sans nul doute et à juste titre gêné Goodman. Après How Children Fail, il écrivit plusieurs livres, quelques-uns étant destinés à suggérer aux maîtres de quelle manière ils pourraient améliorer leur enseignement, les autres de plus en plus consacrés aux moyens de retirer entièrement les enfants des écoles formelles, comme Teach Your Own: A Hopeful Path for Education (1981).
Herbert Kohl et Jonathan Kozol, qui avaient l’un et l’autre fait leur premier cycle universitaire à Harvard, ont d’abord centré leur attention sur les difficultés que rencontrent à l’école les enfants des taudis, en particulier les enfants noirs. Leur démarche est très différente de celle de Herndon. Celui-ci tout aussi respectueux de ces élèves comme être humains les traite dans ses écrits en égaux dont il apprécie sardoniquement les stratégies dans leurs rapports avec des écoles qui sont capables d’être considérablement plus bêtes qu’eux. Le livre de Kohl, 36 Children (1967), est un récit des expériences émouvantes qu’il a vécues en enseignant l’anglais et, plus particulièrement, la poésie dans des écoles de Harlem. Les écoliers manifestaient souvent de réels talents poétiques, mais pour les voir aussitôt étouffés par les chefs d’établissement, choqués par leur langage et n’admettant pas que des enfants pussent seulement avoir vécu avec des proxénètes et des trafiquants de drogue les expériences que leurs écrits dépeignaient en termes si saisissants.
Kohn a continué pendant toute sa carrière à écrire sur les difficultés concrètes que rencontre un maître qui veut enseigner avec amour et efficacité dans les écoles publiques américaines. Seuls Herndon et lui ont consacré autant d’attention à un examen particulièrement novateur et pratique de ce qu’on peut faire pour les élèves et de la manière de le faire dans un cadre scolaire classique. Le livre de Kohl Growing Minds : on Becoming a Teacher (1984) est un petit chef-d’œuvre, étant à la fois un émouvant compte rendu autobiographique des motifs qui l’ont amené à choisir sa profession et des expériences vécues en cours de route qui l’ont formé et une série d’études de cas détaillées et subtiles portant sur des problèmes qui se posent en classe et sur la façon de les traiter efficacement. Livre séduisant et néanmoins honnête :
Je regrette de donner l’impression qu’apprendre à bien enseigner est une activité si solitaire, mais cela a été le cas pour moi. Voilà plus de 20 ans que je m’efforce de dialoguer avec des collègues et des administrateurs au sujet d’idées et de choses concernant l’éducation qui ont des chances d’intéresser et de stimuler les élèves, et le plus souvent je n’ai eu droit qu’à des regards d’incompréhension. Non que les éducateurs ne m’aimaient pas ou n’aimaient pas mes idées, mais ils s’étaient installés dans le programme d’enseignement établi et celui-ci s’était installé en eux. Enseigner, c’était accomplir un certain nombre de tâches dans un temps donné sans en perdre la maîtrise. L’enseignant comme artisan qualifié ou artiste créateur ne faisait pas partie de l’image qu’ils se faisaient d’eux-mêmes (Kohl, 1984, p. 137).
La carrière de Jonathan Kozol l’a entraîné loin de ses débuts dans le rôle de rédacteur en chef du Harvard Crimson alors qu’il faisait son premier cycle universitaire, quoique ayant déjà alors des idées radicales. Son premier livre, Death at an Early Age (1967), portait sur les mauvais traitements infligés à l’époque aux enfants noirs dans les écoles de Boston. C’est un réquisitoire furieux, poignant et d’une parfaite authenticité contre des pratiques scolaires inadmissibles; mais le propos sous-jacent de Kozol touche essentiellement les processus et les effets d’une paupérisation et d’une exploitation dans lesquels l’instruction scolaire joue un rôle aussi important qu’ambigu. Il a continué à écrire sur l’école. Children of the Revolution : a YankeeTeacher in the Cuban Schools (1978) est une description empreinte de chaude sympathie, quoique critique par endroit, des écoles cubaines que Kozol a visitées (sans y enseigner) en 1976 et 1977; son livre le plus récent Savage Inequalities : Children in America’s Schools (1991) montre comment (foncièrement – et tristement) les choses n’ont guère changé depuis le temps où il écrivait Death at an Early Age. Rachel and Her Children: Homeless Families in America (1989), peut-être sa meilleure œuvre, traite des problèmes fondamentaux beaucoup plus graves, ceux de la pauvreté aux États-Unis. Kozol cite, lui aussi, Goodman dans ses écrits, en l’approuvant, mais la compréhension qu’il a de la pauvreté fait paraître Goodman presque frivole.
Dans ce groupe de « critiques romantiques », Goodman apparaît aujourd’hui avoir occupé, en un sens, une position centrale. Il a été le premier à paraître et le premier à mourir. Son influence est celle qui a été le plus souvent reconnue. Le regard qu’il a porté sur le triste sort de la jeunesse dans la société fut prophétique et amorça des tendances nouvelles. Il a marqué d’une profonde influence le débat sur l’éducation, sinon sur la pratique de l’instruction scolaire. Ses attitudes à l’égard de la sexualité et de l’expression sexuelle dans l’instruction scolaire ont eu toute l’exemplarité qu’il était capable de leur donner et, si elles avaient pu être acceptées, elles auraient modifié la notion d’attentat à la pudeur sur la personne d’un mineur et débarrassé notre culture des matériaux dont elle se sert pour tramer ses scandales les plus destructeurs. Jusqu’à la parution de Une société sans écoles (1971) d’Ivan Illich, l’année avant la mort de Goodman, celui-ci fut à la fois le principal iconoclaste et la principale icône parmi les critiques de l’éducation de tendance de gauche, et même aujourd’hui, c’est lui qui a toutes chances de rester dans les mémoires comme notre représentant. Pourtant, il a moins eu affaire à l’instruction scolaire proprement dite que n’importe lequel d’entre nous, y compris moi qui n’avais jamais mis les pieds à l’école avant d’entrer à l’université.
Est-ce un paradoxe ? Je ne le crois pas. Car il y a un fait frappant : pas un de nous n’a été capable de supporter longtemps les écoles que nous critiquions. Aucun n’y est resté; chacun s’en est évadé par l’une ou l’autre de deux voies distinctes. Dennison et Kohl ont passé la plupart des années de leur maturité dans la profondeur des forêts, du Maine pour l’un, de laCalifornie du Nord pour l’autre, en continuant à s’intéresser aux problèmes de l’école locale, et dans le cas de Kohl, en dirigeant un camp d’été accueillant des jeunes qui ont des difficultés d’apprentissage. Les autres, comme je l’ai indiqué, ont, soit comme Holt, perdu tout intérêt dans les écoles en tant que telles, soit été amenés, du fait du choc qu’ils ont subi, à s’intéresser à un problème plus vaste et plus profond – comment fonctionne une société capable de soutenir ces établissements et de forcer ses jeunes à les fréquenter. Cui bono ? Quis custodiet ipsos custodes ?
En élargissant ainsi le champ de l’enquête, Ivan Illich allait nous dépasser tous. Prêtre jésuite, né à Vienne en 1926, il fit irruption, tel un météore, dans l’arène du conflit sur l’éducation par le biais du travail constructif qu’il faisait auprès des jeunes analphabètes portoricains dans la ville de New York. Ayant fondé le Centre de documentation inter culturelle (CIDOC) en 1964 à Cuernavaca (Mexique), Illich y a accueilli la plupart d’entre nous, y compris Goodman dans les dernières années de sa vie, lors de séminaires où étaient examinées des questions transcendant de loin l’éducation. Ce n’est pas ici le lieu de tenter de résumer l’apport d’Illich; il appelle et mérite à lui seul son propre « profil ». Qu’il nous suffise de dire que l’instruction scolaire lui a servi de métaphore des processus d’aliénation et de développement technologique excessif dans tous les domaines de la vie sociale et économique qu’il a entrepris d’explorer au travers d’ouvrages comme La convivialité (1973) et Némésis médicale : l’expropriation de la santé (1975), parmi bien d’autres.
Pendant ce temps, bien sûr, d’autres écoles de critique distinctes du courant« romantique » ont continué à se manifester en Amérique. Des critiques radicaux, tels Michael B. Katz (1971), Joel Spring (1972), Clarence Karier (1975) et Samuel Bowles et Herbert Gintis (1976), étaient d’accord sur le principe des problèmes que nous avions soulevés, nous autres « romantiques »; mais ils les enracinaient beaucoup plus solidement dans une critique économique fondamentale, anarchiste ou néo-marxiste, selon les cas. À l’opposé, les critiques conservateurs de l’instruction scolaire cherchaient des moyens de faire des écoles des instruments de socialisation plus efficaces et de relever le niveau des études ou du moins d’arrêter le déclin dont ils croyaient être témoins. Certains, comme Diane Ravitch (1978), s’en prenaient directement aux radicaux. D’autres, comme David P. Gardner (National Commission on Excellence in Education, 1983) et Theodore Sizer (1984), appartenant au courant critique dominant, acceptaient sans grande discussion la mission classique de l’école tandis qu’ils concevaient des moyens d’en faire des instruments plus efficaces afin, surtout, d’accroître la supériorité compétitive de la société américaine.
Ce point de vue prédomine désormais, comme il le fait depuis quelques années, dans le débat qui se poursuit sur la finalité et la qualité de l’éducation donnée dans les écoles américaines. Les termes d’« excellence » et de « literacy » sont désormais des mots de code reconnus qui désignent la maîtrise d’un programme d’enseignement traditionnel et à celle des savoir-faire et, plus particulièrement, des attitudes qui sont requis si on veut l’emporter dans la compétition pour l’emploi, ne serait-ce que parce que l’employeur potentiel exige les certificats qui les attestent. L’instruction scolaire américaine a toujours été orientée vers l’emploi ; en vérité, la scolarisation obligatoire jusqu’à la mi-adolescence est une création de l’industrialisation qui s’est généralisée dans le monde à mesure que les nations se développaient et revêtaient leur forme moderne; comme le fait observer Illich dans Une société sans école, les pays en développement s’appliquent presque automatiquement à mettre en place des systèmes de scolarité obligatoire qui, s’ils étaient intégralement mis en œuvre les ruineraient pour commencer. Mais, traditionnellement, d’autres arguments importants en faveur d’une scolarisation financée par l’État ont été aussi avancés, notamment la nécessité d’avoir un électorat informé et de se reconnaître dans une culture commune, partagée. Ces arguments sont certainement encore avancés, souvent avec une inquiétude croissante alors que les écoles sont perçues comme étant loin de les justifier. Mais ils perdent beaucoup de leur force à mesure que les conflits d’intérêts entre les classes et parmi les groupes d’intérêts organisés obscurcissent la vision d’une culture commune; et l’école devient plus explicitement reconnue comme partie essentielle des médias, du moins aussi sujette à la censure et au contrôle que le cinéma et la télévision. Le livre de Joel Spring, Images of American Life (1992), donne de cette évolution une analyse historique convaincante.
Au point où nous en sommes, l’actualité de Goodman tient à un paradoxe. Il est clair aujourd’hui, qu’en dépit des limites qu’impose son narcissisme, sa vision de l’instruction scolaire et de ses déficiences était précise. La culture américaine, les écoles comprises, a évolué beaucoup dans le sens qu’il craignait dans ses mises en garde. Mais on peut en déduire que, comme il s’y était sans doute attendu, son conseil continuera d’être ignoré, rejeté au motif qu’il est altéré par l’idéalisme inopérant des années 60 et qu’en dépit de son patriotisme, Goodman était, d’une manière aveugle, peu enclin à célébrer la position de l’Amérique en tant que chef de file permanent et incontesté des forces de liberté dans le monde. Le nombre de gens qui partagent cette réticence est étonnamment grand. Le problème, c’est que, pendant que les éducateurs américains ne cessent de rétrécir le champ de leurs revendications pour l’éducation, exigeant simplement avec une insistance croissante qu’elle serve les fins des dirigeants nationaux, les objectifs de l’instruction scolaire, s’ils ne perdent rien de leur importance, deviennent plus diffus et par conséquent moins captivants. Comme Goodman l’aurait certainement reconnu, il n’y a rien qui cloche dans l’éducation américaine, si ce n’est ce qui cloche dans la société américaine.
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Notes
- Dans le présent article, les citations de cet ouvrage sont traduites par le traducteur de l’article.
- En français dans le texte.
- Cette citation est traduite par le traducteur
Ce texte est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIII, n° 3-4, 1993, p.589-612.©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000 Ce document peut être reproduit librement, à condition d’en mentionner la source.